Me voilà déjà dans les montagnes depuis 40 ans. Incroyable ! Et comme j’ai un peu de mal à suivre ce monde (assez speed) de high-tech, je me sens plutôt comme une antiquité ariégeoise. Pourquoi je suis venue m’installer ici ? On cherchait un endroit sauvage – loin des villes et des lois débiles. En 1978, il y avait encore plein d’anciens dans les vallées. La foire de Massat était énorme et on entendait que du patois. Les anciens avaient envoyé leurs enfants en ville (même jusqu’à New York). Il y avait un certain accueil qu’on ne trouvait pas ailleurs. Ils nous filaient des granges, des ruines, la plupart gratuites ou pour des petits prix. Ils rigolaient de nous, de nos coutumes, de nos costumes, et ils ne croyaient pas en notre avenir dans l’Ariège. Mais la plupart étaient quand-même très sympas. C’est eux qui nous apprenaient à greffer des arbres, cultiver la terre et travailler avec des bêtes. Ils étaient les remplaçants de nos parents, et nous de leurs enfants. La symbiose parfaite ! Chaque vallée avait son papie et sa mamie. Ils trouvaient normal qu’on accouche à la maison. Par contre, ils n’acceptaient pas qu’on ne mette pas nos enfants à l’école. Pourquoi ? Comme leurs ancêtres (vers 1920) ne savaient pas trop lire et écrire, ils se faisaient voler des terres par des Seigneurs en signant naïvement des papiers.
Patrice et moi vivons depuis 1978 à Bernède avec nos 8 enfants dans l’esprit d’autarcie. 5 vaches (donc fromage, beurre, yaourt), fruits et légumes, moulin à farine (à côté du ruisseau) ; sculptures, constructions à l’ancienne, traction animale, éducation d’enfants … C’était du ‘taf’. Mais on était libre et heureux de découvrir ces genres de création. Même mes 40 couches en tissus que je lavais tous les jours au lavoir étaient mes vacances ! Car 8 enfants, 24h / 24 dans une pièce, l ‘école à la maison (surtout en hiver !), c’était parfois un peu fatiguant, ou plutôt bruyant. Me voilà donc tous les jours, pendant 2 heures seule au lavoir, les mains dans l’eau chaude, perdue dans mes pensées et sentiments, entourée par cette magnifique nature enchantée, selon les différentes saisons. Un de mes plus grands plaisir, c’était d’aller visiter Henriette à Balmayné, le petit village en face. Henriette est née en 1913 dans notre maison de Figuets. Bébé sur le dos, les plus grands à pied, nous allions une fois par mois la voir, écouter les histoires de leurs vies, de leur pays. Elle est morte à 101 ans, mais elle faisait les patates jusqu’à 96 ans. Je me souviens qu’elle descendait tous les jeudis de foire à pied à Massat avec ses copines Adèle, Jeanne et Maria. 7 kms aller et 7 kms à remonter sous la pluie, la chaleur ou la neige. Avant que l’euro arrive, le Crédit agricole sur la place de Massat a fermé – c’était la fin des rencontres des anciens. J’en étais bien triste. Toute une culture qui s’est éteinte petit à petit. Maintenant, c’est nous les anciens.
Nos enfants sont partis de bonne heure pour découvrir le monde. Le Canada, l’Amazonie, l’Irlande, la Tunisie, le Pérou, la Réunion. Puis ils sont tous revenus pour s’installer en Ariège. Des métiers intéressants. 19 petits enfants actuellement, c’est chouette. Mais l’esprit d’autrefois s’est perdu. Plus d’autarcie, plus trop de créations, plutôt être comme tout le monde, voiture, école, portable, internet etc … Ca me pince le cœur mais c’est comme ça en Europe pour l’instant !
Je ne crois pas dans l’éternité de Inter-(super)marché et de inter-net. J’ai plutôt envie d’aller voir les dernières ethnies, pauvres d’argent mais riche du cœur…. Et aussi de passer des messages dans les médias … que le bonheur n’est pas conditionnel, l’amour non plus. J’aimerais vivre le jour où toute l’humanité sera frère et sœur sur cette belle planète. J’y crois à fond. C’est juste une histoire de temps.